Entry for July 02, 2009
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UNE LUNE ROUGE SANG
Nguyeãn thò Minh Ngoïc
Traduction de Tröông Quang
Ì
L
a mer est inondeùe de la lumieøre rouge de la lune. Moi, je suis inondeùe de cette eau saumaâtre. La nuit est calme, les vagues molles, les iloâts noirs au large provocateurs. “Quand je me sens triste, je me rendrai laø-bas aø la nage, j’arracherai une poigneùe d’algues et je retournerai”. Cette phrase, je la dis souvent aø Huyeân sans qu’elle soit jamais mise en exeùcution. Car ce qui m’est arriveù jusqu’ici eùtait encore loin d’eâtre traiteù de “triste”. L’impitoyable eùtait un cadeau qu’il m’a fait aø l’occasion de mon anniversaire en saison de lune rouge sang. Huyeân entendait faire subir aø sa soeur des eùpreuves aø l’instar des Peaux-Rouge d’une pays froid. Selon leur coutume, ils mettent les enfants qui viennent de naiâtre dans l’eau de ruisseau et un peu plus tard, les poussent dans une rivieøre pleine de crocodiles. Si un enfant passe bien l’eùpreuve du froid et ne se laisse par croquer par les crocodiles, il sera accepteù par le ciel. Je ne ferais d’objection si quelqu’un disait que Huyeân ne m’aimait pas. AØ quoi bon? Personne ne me comprendrait. Et puis je n’ai pas besoin qu’on me comprenne.
Huyeân est de dix ans mon aiâneù, aussi ai-je l’air minable d’un petit poussin boiâteux. Pendent une sortie vers le mont Taø Cuù aø la feâte de la mi-automne, mon pied fut coinceù dans la roue arrieøre d’une bicyclette. Huyeân me porta sur son dos et me mit dans le ventre d’un Bouddha coucheù, long de 49 meøtres et alla chercher de quoi me gueùrir. Cette nuit avait aussi une lune rouge sang. Elle jetait ses rayons froids par la fente des yeux du Bouddha vers les meurtrissures de mon pied comme si de la glace eùtait entreùe dans la moelle de mes os. Depuis je cloche un peu. Je ne suis pas pourquoi, mais je n’ai gardeù aucune rancune, meâme sourde, contre Huyeân. Notre maison se trouve preøs d’une eùtang saumaâtre, au pied d’une colline sablonneuse et dans le voisinage d’un cimetieøre. Au-delaø de l’eùtang, il y a un verdoyant jardin potager sous l’ombre des areùquiers et ouø apparaissent de temps aø autre des silhouettes humaines. Cet endroit a un aspect indeùfinissable, moitieù petit bourg, moitieù campagne. De l’autre versant de la colline sablonneuse couverte d’ananas sauvages et de ronces, on voit la mer avec laquelle les gamins connaissent de nombreux jeux attirants. Meâme chez nous on a assez de choses pour nous divertir. La chat borgne est aø Huyeân. Moi, je posseøde un cochon pie. L’oiseau qui peut imiter de nombreux sons humains est aø Huyeân. Cette bande de canards marqueùs par une tache de peinture verte sur le dos est aø moi. Nous nous partageons aussi de nombreuses autres choses : un papayer steùrile, un groupe de courges suspendues, un groupe de rosiers, un pot de cactus aø fleurs blanches... Il y a pourtant un objet impartageable. C’est maman. Il est impossible de savoir qui maman aime le plus. Des fois elle voit que Huyeân me “maltraite” pour de bon, mais elle ne dit rien malgreù son air compatissant.
Et tout cas, il s’agit laø deùcideùment de ma volonteù. Jamais Huyeân ne m’impose la sienne. Je me rejouis d’eâtre meneùe, dirigeùe dans tous ses yeux. Fabriquer un abri pour la truie qui va mettre bas. Renforcer un treillage. Ramasser du bois mort pour le buâcher. Lors de mon passage de l’enfance aø l’adolescence, Huyeân se trouvait loin de sa famille aø cause de ses eùtudes. C’est ainsi que pour moi, l’eùteù eùtait alors la saison la plus angeùlique de l’anneùe. Nous faisions des excursions hors de notre territoire habituel. Meâme jusqu’au bois de pins ouø nous roulions sur la tapis vert de pierres qui bullait comme le flanc du torrent aø l’emplacement de la Roche du geùnie de terre, et ouø nous montions au sommet de la colline d’abricotiers qui entourait la pavillon du Prince. Je le suivais en clochant partout. Le fait merveilleux, c’eùtait de marcher dans l’eau de mer. Pendant les premieøres leÇons de natation, j’eùprouvais une grande douleur avec mes jambes boiâteuses. Une fois, Huyeân me laâcha enfin en me poussant avec force. Au moment ouø je pensais couler aø pic, Huyeân me saisit par le cou et me sortit la teâte de l’eau. Treøs souvent, vers la fin de l’eùteù Huyeân avait la manie de me dire au revoir en me poussant avec une telle brutaliteù qui m’a marqueù toute la vie. Et cela coicidait avec la saison de lune de mon anniversaire. Un autre eùveùnement de brutaliteù eut lieu pendant notre cueillette de noix de coco dans un jardin abandonneù. Il faisait froid et le ciel eùtait plein d’eùtoiles. La pleine lune du huitieøme mois est en geùneùral plus ronde, plus grande et d’un rouge sang qui endeuille le paysage deùjaø sombre, sauvage et trouble. Avec la pleine lune, il n’y a pas d’eùtoiles. Mais ici la pleine lune du huitieøme mois se trouve entoureùe d’une multitude d’astres. Mon huitieøme mois fantomatique!. Huyeân fut eùquipeù d’une longue et grosse corde avec laquelle il fit descendre des noix que j’eus aø ramasser. Comme d’habitude apreøs le travail, nous choisissons chacun un arbre contre lequel on se reposait en bavardant ou en observant un silence absolu. Le vent en soufflant aø travers les feuilles de cocotiers faisait un bruissement continu qui se laissait dominer par le bruit des vagues de la mer. Tout aø coup Huyeân vint me deùnouer les mains derrieøre la nuque et dit tout bas : “Il y avait une fois un type qui, apreøs avoir mangeù des fruits dans un jardin abandonneù et voulant les payer au proprieùtaire absent, a attacheù de l’argent aø un tronc arbre.
Maintenant je vais t’attacher aø ce tronc pour payer les noix de coco. “Sitoât dit, sitoât fait”. Puis il me quitta. J’eus l’intention de protester en disant que je n’aimerais pas du tout ce jeu marrant. Mais par obstination je n’ouvris pas la bouche. Bienque la corde ne fuât pas treøs serreùe, elle me retent solidement aø l’arbre et me chatouilla les poignets. Mes larmes couleørent aø flots mais je me gardai bien de crier. Des peâcheurs faisant leur randonneùe nocturne sur la plage avec leurs lanternes-tempeâtes apparaissaient puis disparaissaient tels des feux - follets. On entendait des rires et des vocifeùrations parmi les feuillages de cocotier et des ronces. Je me sentais assureùe, sans raison apparente, en pensant aø Huyeân qui devait roder aux alentours toujours preât aø intervenir si une brute s’avisait de faire du mal aø sa soeur.
Cette troisieøme pousseùe fut deùsespeùrante. Apreøs avoir occupeù la premieøre place dans le palmareøs des diploâmeùs de la faculteù, huyeân deùclara aux siens : “On va se marier avant de soutenir la theøse et de s’enroâler dans l’armeùe”. Il s’agit d’une ruptune d’affection et de pieùteù filiale. Je pensais deùjaø aø une traverseùe aø la nage pour atteindre mon iâloât. Pour m’entourer le cou d’une poigneùe d’algue et de retourner toujours aø la nage. Et apreøs? Ma future belle-soeur eùtait trop jolie. Cela m’eùtonnait eùnormeùment. Huyeân eùtait d’une entieøre rigiditeù, chez lui il n’y avait aucune trace d’une faiblesse humaine. La beauteù de la femme me faisait perdre beaucoup l’habitude de voir chez Huyeân un parfait original. Beaucoup mais pas entieørement. Il eùtait impossible d’en perdre entieørement l’habitude. Il y avait des jours ouø je ne faisais absolument rien. J’eùtait coucheù de tout mon long sur une couche de feuilles mortes et dormais tout mon souâl jusqu’au rassassiement des yeux. Parfois je me laissais flotter sur l’eau. J’eùùtait aussi noie qu’une motte. Mes cheveux d’une rouge feu eùtaient secs et cassants. J’eùvitais de sortir avec Huyeân bienque son mariage ne fuât pas encore ceùleùbreù.
Je me reùjouissais de percevoir des soupÇons de regrets dans ses yeux. J’avais mis la cruauteù froide que j’heùritais de Huyeân aø l’eùpreuve pour un certain nombre de mes connaissances. Mais c’eùtaient des gens plutoât stupides et j’en eùtais bien deùcue. Il n’est pas chose courante que Dieu nous fasse don d’un adversaire digne de soi. Apparemment les sorties aø trois eùtaient sympathiques. Taân la belle qui eùtait d’une souplesse admirable, esayaire de me plaire. Ma floideur ne baissait pour autant pas d’un seul cran. Quelquefois en entendant un oiseau chanter dans le feuillage d’un mimosa, j’eùprouvais subitement de la honte aø l’eùgard de l’oiseau anonyme. De retour chez moi, j’essayais de renouer mes lieus d’amitieùavec Huyeân en apportant avec zeøle mon concours aø la nouvelle construction destineùe aø loger les nouveaux marieùs. Huyeân me faisait un sourire reùconciliant, mais cherchait aø me remuer la plaie : “Qu’as-tu pas contente que Taân aille te remplacer pour aller au marcheù, pour donner aø manger aux porcs et pour prendre toutes les choses possibles d’ordinaire aø ta charge?”. Je me disais tout bas :”Oh non, mais je ne m’en reùjouis pas du tout. Je ne veux nullement eâtre comme t-elle”. Et Huyeân d’ajoute : “Tu fais comme si tu ne voulais jamais te marier. Je pense avoir reâpeùreù parmi tes oreùtendants des gars assez bien”. Quelle deùsinvoltune deùtestable! Avant mes preùtendants avaient eùteù de miseùrables victimes de ses farces quand chacun avait duâ subir un test des plud singuliers. Et maintenant le meneur devenait tout aø coup plaisant et gentil. Je m’exclamais : “Il vaut mieux que tu ne dises plus rien. Rien !”.
Il faisait une pluie fine dans le cimetieøre. Le cocher d’une voiture aø cheval me lanÇa en pleine figure des injines pour que je m’eùcarte de la route et pour qu’il puisse transporter du mortier et des briques jusqu’aø une nouvelle seùpulture. J’en avais vu le matin le corteøge funeøbre. Le mort eùtait un jeune de mon aâge. Sa maman avait beaucoup pleureù. Son peøre avait eu un visage de marbre. Il me sembla qu’il eùtait laø, dans la voiture. Et il me fixa. Il ne levai pas la teâte mais je le savais. Au dire de Taân, le petit s’eùtait donneù la mort aø cause de sa famille deùsunie. En se servant d’un fusil de son papa. Qui avait l’air d’eâtre quelqu’un d’important. Eùvidemment cela engendrait de nombreuses autres preùoccupations.
Je me demandais si deøs les premiers abords je fus seùduite par une expression de souffrance dans ses yeux et par une certaine noblesse eùleùgante chez mon eùpouse. Toujours est-il que, cet apreøs-midi, debout dans l’ombre d’un peâcher, je regardai le maÇon travailler aø la tombe et observai l’homme aux yeux endoloris par une grande souffrance. De temps aø autre il me regardait, attendre. Mais je tins bon sans cligner des yeux. L’observation des humains et du paysage me fit oublier mes propres ennuis. Comme il pleuvait, je n’eùprouvais pas encore l’envie d’atteindre cet iâlot Hoâng aø la nage.
Le mariage approchait. Huyeân entreprenait un long visage sous preùtexte de se procurer des choses pour la ceùreùmonic. Il s’agissait bien suâr d’un preùtexte. Taân passait reùgulieørement chez nous, se montrait douce et aimable envers maman et moi-meâme. J’avais soudain pitieù d’elle, de cette beauteù qui devait venir vivre avec nous au milieu d’un endroit mareùcageux et sauvage. J’avais peur qu’elle n’eùprouvaât ausitoât des regrets. Moi, je ne l’avais jamais prise en animositeù. Rien qu’une indiffeùrance. Huyeân parti, je sentais naiâtre en moi une certain sympathie pour elle. Je me doutais qu’il y euât une machination qu’ils auraient trameùe derrieøre mon dos.
Demain, Huyeân sers de retour. Taân est venue demander aø maman la permission de m’emmener aø une reùceotion. je pose pour qu’elle me fasse du maquillage. Elle dit tout bas :”Hai, tu seras la plus admireùe pour cette nuit”. C’est possible, graâce aø ma jambe boiâùteuse. Elle m’a preâteù une robe maxi d’une jaune eùclatant, ne serait-ce que pour cacher cette jambe infirme. Je dois refuser de nombreuses invitations aø la danse et je m’identifie aø un personage d’une conte de feùes, cette princesse aø queue de poisson de l’empire marin qui voulait monter aø la terre ferme voir le jeune prince qu’elle aimait au sacrifice de sa langue contre deux jambes humaines. Elle acceptait d’eâtre muette, de renoncer aux chants sublimes qui avaient enchanteù le prince. Si c’eùtait plus fort qu’elle, elle se transformerait en eùcume de mer. Il paraiât que la princesse enfin y succombait, le titre du conte eùtant “l’EÙcume fideøle”. Comme d’habitude, je choisis une place aø part. Partout je trouve toujours une place aø part d’ouø je contemple les gens. Qui sera mon prince de cette nuit? Ici il n’y a que des gens muârs, je ne vois aucun garÇon de mon aâge.
Mais aø en juger par leurs regards, ces gens muâr ne me prennent pas pour une gosse. Ils arrivent vers moi en groupes de deux-trois personnes puis repartent. J’aime Ça. Je suis bien aø l’aise. Il fait une nuit claire et pleine d’eùtoiles sur les ciâmes des arbres qui me rappelle celle ouø Huyeân m’a attacheùe aø un tronc de cocotier. La lune apparaiât aø l’horizon, tirant peùniblement son disque opaque au milieu des feuilles aø fleur du sol. Faut remercier Taân. Je pensais qu’elle devait eâtre la plus belle de cette nuit. Mais non. La plus eùleùgante et la plus noble reste madame Haøo, la femme tout en pleurs des funeùrailles de l’autre jour. Je fixe mes yeux sur elle et dit tout haut ce que je pense aø un homme qui se tient preøs de moi: “Regardez la dame en velours noir. Elle me ravit pour le bon”. J’entends un rire bref : “C’est mon eùpouse...”
Je me retourne pour regarder fixement cet homme eùtrange. Il a des yeux tristes bien que le sourire aux leøvres ne se soit pas encore effaceù. Je me dis que cet homme a beau eâtre au courant de tous les qu’en-dira-t-on sur lui et sur sa femme, il ne se laissers pas affliger pour si peu. Chez lui, la histesse s’impreøgne depuis longtemps jusqu’aø la moelle des os. D’instinet je voudrais bien lui serrer la main pour que ma petite peine se fonde dans son immense chagrin. Puis je lui parlr de mon petit iâlot. L’a-t-il jamais vu? J’ai essayeù de faire peur aø mon freøre en lui disant que j’y viais aø la nage quand je me sentais triste. Puis je retournerais le cou entoureù d’algues. L’homme dit d’un air seùrieux: “Demain, je reùaliserai ce reâve pour vous”. “Je crains que vous n’en soyez pas capable”. “Ai-je l’air d’un deùtraqueù?”. “Non, mais eâtes d’une lourdeur venue d’une certaine souffrance. Personne ne peut nager avec une grosse pierre sur le dos”. “Alors je la mettrai provisoirement chez moi avant la nage”. “Pourquoi ne la balancez-vous pas une fois pour toutes? Vous la regretterez?”. “Elle fait partie de ma personne, on ne peut pas se couper une partie de sa chair. AØ la place un nouveau morceau poussera. AØ moins que je ne meure”. Silence. Soudain je lui demande: “Vous l’aimez beaucoup?”. Il reùpond d’un ton froid: “Vous voudriez bien le savoir?”. J’essaie de me justifier : “C’est aø cause de sa grande beauteù. J’en suis franchement charmeùe. Je m’afflige de voir que vous ne vivez pas dans le bonheur. La Rumeur (1), quoi”. “Vous croyez aø la rumeur?”. “Je la deùteste. Pourtant dans celle-ci il y a incontestablement quelque chose de vrai”. Il me tire brusquement la main. Pourquoi parler de tout cela dans une pareille nuit? Allons, je vais vous inviter aø danser. Je refuse. J’avoue que je cloche un peu. Lui fait “Ah, ah! Je m’en doutais! Ce qui fait que vous eâtes si fieøre!” Le fait qu’il boit comme un trou m’ennuie beaucoup. C’est le plus grand buveur, apreøs Huyeân, que je connaisse. Les gens de mon clan sont orgueilleux. Aussi sont-ils bien teâtus dans toutes les farces. M.Haøo dit qu’il boit non pas pour fait une farce comme mon freøre. Le connaissez-vous? Mais oui, je le connais, ce buveur inveùteùreù. Au deùbut de mon meùtier, j’eùtais son prof. Nous avons loueù des chambres contigues. AØ sa premieøre arriveùe aø H., une nuit, nous avons bu ensemble. J’avais eu le visage juste fendu dans une barre avec des voyous du coin. J’avais reùussi aø regagner ma chambre aø quatre pattes. Huyeân m’a raconteù l’histoire, lui aussi. C’est bien de M. Haøo qu’il s’agissait. Pourquoi avez-vous des enfants si grands? Je me suis marieù treøs toât. Mon eùpouse, Caåm Lai, eùtait alors une de mes eùleøves. Du temps ouø nous eùtions aø D., nous avions l’habitude de nous entrelacer et de rouler du sommet jusqu’au pied d’une colline couverte d’herbes folles. La meøre de Caåm Lai m’a demandeù si j’avais trois millions de piastres. Cette somme avait il y a dix-sept ans une valeur qui n’eùtait pas facilement aø la porteùe de tout le monde. Mais enfin je pouvais l’eùpouser car elle m’avait donneù un enfant aø moi. Huyeân m’a parler souvent de vous, Haûi Döông (2). C’est comme Ça que nous nous sommes connus depuis dix-huit ans sans le savoir. Je murmure: “Appellez-moi Hai tout court. Je n’aime pas porter le nom de cette fleur”.
M. Haøo me rameøne chez moi aø moto. Vous avez l’air plus aviseù que votre aâge. Orgeuilleux, suâr de lui, toujours d’aplomb, il se verse aø boire. Vous n’avez jamais pris une goutte d’alcool que je voulais vous offrir. Quand j’eùtais sur la moto et fouetteùe par le vent, je me rappelais que je n’avais pas averti Taân de mon retour avec M. Haøo. Plus non plus il n’en avait pas averti son eùpouse. Quelle est la rumeur que vous avez entendue? Nous sommes en peùriode de seùparation de corps. Le ton de sa voix fait croire qu’il l’aime encore. Je ferme les yeux pour sentir qu’il y a quelque chose de briseù, implacablement. La sensation de quelqu’un qui chute du haut jusqu’en bas d’une montagne de sable. Ah, Ça ne va plus. Je fait signe aø M. Haøo que je veux descendre. Il freine et puis me prend les mains. Qu’avez-vous? Mais rien. On arrive. J’aime faire ce bout de chemin aø pied M. Haøo verrouille son veùhicule. Je vais vous accompagner. Ce qu’il dit rappelle Huyeân avec ses ordres. Huyeân que je vais perdre aø jamais. J’eùprouve soudain une grande deùception et une fatigue eùnorme. EÂtre ou ne pas eâtre. Vivre ou mourir. La vie est pleine de mirages. Nous marchons lentement coâte-aø-coâte. Comme deux vieux amis. Eùtrange! Pourquoi suis-je ici aø cette heure? Le chant poignant des cigales reùsonne dans les buissons. Le vent rejette mes cheveux sur l’eùpaule de M. Haøo. Et je suis en train de marcher cahin-caha, prisonnieøre de ma jupe trop longue. Nous sommes eùgareùs et empruntons sans le savoir le chemin du cimetieøre. Nous nous arreâtons devant la tombe du fils de M. Haøo. Il se tient coi . La lune inonde son visage de lumieøre rouge fonceù, un visage au traits indiciblement tragiques... Je me tiens coite moi-aussi comme un statue qui regarde une autre statue qu’est M. Haøo. Et puis nous nous embrassons sans savoir depuis quand. Des baisers aussi leùgers qu’immateùriels. Mais treøs longs. Aussi longs que la tristesse. Une statue qui embrasse une autre statue. Cela donne du froid au coeur. Apreøs cela on se sent comme soulageù et rassureù. Le baiser, aø la place de la poigneùe de main, est le signe d’un contact et d’un partage de tristesse. Mes larmes commencent aø couler. D’ouø venez-vous? Je suis d’ici. Pourquoi ne vous ai-je pas connue? Car je ne vous ai pas connus. Les tombes, la lune, les eùtoiles aussi. Et mon fils qui est le teùmoin... Je viendrai lui rendre visite plus souvent. J’espeøre vous retrouver aø tout hasard. Maintenant il faut qu’on se quitte ici. C’est moi en ce moment qui donne des ordres. Lui ne bouge pas. Je fais demi-tour et sur le chemin perdu entre les roseaux qui conduit chez moi. Une fois entreùe dans la maison, je m’aperÇois que j’ai perdu un soulier. C’est bien le cas de la Cendrillon. Seulement impreùvisible pour Huyeân et pour Taân. La Cendrillon n’a pas rencontreù un prince mais un vieillard. Taân m’attendait depuis longtemps. AØ peine maman a-t-elle formuleù une reproche que j’entre. Je suis laø. Saine et sauve. Beaucoup de choses de perdues pendant la course. Comment maman pourrait-elle le savoir? Comment pourrait-elle compter les fragments de mon aâme? Les jours passent. Les vagues me rendent folle mais l’eau de mer m’apaise. Je me suis abstenue d’atteindre l’iâle Hoàng aø la nage, les choses restant toujours ce qu’elle sont.
Des fois j’ai failli faire face aø madame Haøo aø la tombe de son enfant. Son habit tout noir a mieux accuseù sa beauteù poignante. Caåm Lai! C’est le nom d’une espeøce de bois preùcieux. Je sais que M.Haøo l’aime toujours et beaucoup. D’ouø sa tristesse. Mais cela ne me regarde pas. Avez-vous grand besoin de le savoir? M’a-t-il demandeù un fois. Si c’est maintenant, je lui reùpondrai: J’en ai absolument besoin. Pourquoi faire? Je n’en sais rien.
Des nuits je reâve de gagner l’iâlot aø la nage. L’iâlot c’est un amas de pierres tranchantes rouge sang et en partie couvertes de coquillages. Au sommet, je vois Huyeân debout qui me regarde et qui me repousse brutalement en bas aø la mer. J’ai un flan deùchireù par des pierres mais je regagne courageusement le bord aø la nage tel un requin redoutable. J’entends M.Haøo m’appeler derrieøre moi. Il nage en tenant haut dans sa main une branche d’algue qu’il veut me passer. Mais les vagues nous en empeâchent. Puis je me retrouve devant une grande glace. Mon chemisier tout deùchireù laisse voir une plaie aø laquelle j’essaie de faire un pansement avec de l’ouate et des adheùsifs. Mais qu’elle est belle, cette plaie qui me fascine! le sang coule en chemin ramifieù vers l’extreùmiteù de mon sein telle une tige de rosier d’un rouge vif. Et je donne un baiser au mois de la glace. Les roses se brisent et s’effacent. C’est un baiser glacial qui sent du mercure.
D’autres nuits j’ai la vision de l’enfant de M.Haøo qui va aø ma recherche. Pourquoi avez-vous souvent visiteù ma tombe? Parce que je suis eùprise de votre meøre et que j’ai embrasseù votre peøre. J’aime pas Ça. pourquoi ne venez-vous pas uniquement pour mon compte? Ce serait impossible, mon garÇon! Mais c’est un reâve! Je continue d’y venir chaque fois qu’il n’y a pas d’autres visites. Une fois M.Haøo m’y surprend. Il se lance aø ma poursuite mais s’eùgare vite entre les amas de roseaux. Les canards sauvages effrayeùs s’envolent dans le ciel en criant aø tue-teâte. Et M.Haøo au milieu de ce tumulte de lancer son appel grave, faible et plaintif “Hai, Hai... Ouø est-tu? Viens que je te voie!” C’est bien le cri que j’entends souvent dans mon reâve.
Cependant nous autres, Huyeân, Taân, maman et moi vivons dans la tranquilliteù et dans l’apparence d’un bonheur. Nous sommes sur le point de nous disperser. Huyeân va servir dans l’armeùe. Moi, je vais faire mes eùtudes dans une reùgion eùloigneù. Taân sera muteùe dans les Hauts - Plateaux et accompagneùe de maman. Le son je range les cadeaux que Huyeân m’a offert auparavent. Un doigt embaumeù dans du formol. Toute une main aplatie prenant la forme d’une fleur de penseùe. Pensez aø moi (1) Est-ce neùcessaire? La nuit, le vent hurle toujours sur les dunes de sable derrieøre la maison puis se faufile entre les oiseaux des mareùcages et le cimetieøre. Les vagues. elles, geùmissent dans leur ennui. Les eùtoiles, treøs denses, eùmanent une lumieøre paâle et trouble. C’est la fin de ma maison de lune rouge sang aø P.
Par bonheur je suis la premieøre aø partir. Huyeân organise pour l’occasion un festin d’adieu. Il veut me faire une surprise en y amenant M. Haøo. Huyeân se fait chef cuisinier. Son plat de viande grilleù est deùlicieux. Il y a de tout: de l’ail, de la canelle, du cari pimenteù et d’autres eùpices indispensables. Une bouteille de mei-quei-lou a eùteù deùterreùe. Plus la nuit avance plus je suis intrigneùe de l’aplomb de Huyeân et de l’air heùbeùteù de M.Haøo. Sous l’injonction de Huyeân il rit et il pleure comme un imbeùcile. Ma deùfeùrence pour lui s’effrondre de la meâme manieøre que la tristesse en disparaissant ne laisse aucune trace dans ses yeux. Huyeân se montre maintenant aussi pervers qu’un sorcier. Ses yeux rougis et veineùs de sang ressemblent aø des ttous sans fond susceptibles d’absorber une quantiteù illimiteùe d’alcool. Il reùsiste encore aø sa chute.
Je n’en peux plus. Je sors derrieøre la maison et voir Taân pleurer silencieusement, assise aø coteù d’un amas de poild de rat et je crois qu’elle a compris quelque chose. Mais moi, je devine tout. J’ai beau introduire toute ma main dans ma gorge, je n’arrive pas aø vomir toute cette viande qui a senti bon.
M.Haøo essaie de regagner la sortie en chancelant et gesticulant comme un fou et tombe de tout son long sur une marche en pierre. Maman apporte une serviette mouilleùe et lui lave doucement les meurtrissures au front. Huyeân balance une couverture. Je leøve la teâte. Ce sont pas des yeux de feu. Mais deux lunes rouge sang, cruelles et tragiques, qui me poursuivent toute la vie. Mon voyage de demain m’eùpargnera tous ces avatars. En revanche, il n’y aura que des amours deùpourvus de sens. M.Haøo, M.Haøo! Et tous ceux qui vont venir! Pardonnez-moi. Pardonnez-nous, aø mon freøre et aø moi-meâme...
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(1) en français dans le texte
(2) le nom d’une fleur qui appartient aø la meâme famille des amplexicaules que le theùier
(1) en français dans le texte
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Thursday July 2, 2009 - 10:38pm (ICT) Edit | Delete
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Comments(2 total) Post a Commentminh Offline chi oi! font bi hu roi!
Friday July 3, 2009 - 09:46am (EDT) Remove Comment
minh Offline em khong doc duoc hic!
Friday July 3, 2009 - 09:47am (EDT) Remove Comment
Labels: shortstory
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